COMMUNIQUÉ
Bezons, le 16 novembre 2017

 

Le temps n’est plus au silence

Après la réception de plusieurs témoignages détaillés et convergents de femmes, interprètes chorégraphiques, d’abus et violences sexuels sous couvert de la danse, après avoir également entendu le chorégraphe et son énoncé d’une « ambiguïté du désir qui fait la danse », le TPE retire son soutien à la création de Daniel Dobbels Sur le silence du temps et annule la représentation prévue le 24 novembre dans le cadre de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes.

Bien entendu, le contexte de la programmation et l’intention donnée à la pièce, dans cet engagement contre les violences faites aux femmes, agissent comme des catalyseurs de la conscience et de la parole. Les femmes sont sorties du silence parce que l’intention artistique affichée est apparue comme une provocation insoutenable, une usurpation de la souffrance contenue depuis tant d’années. Le TPE entend cette parole, il dit sa solidarité autant que la colère d’avoir été trompé et utilisé.

Depuis, il est opposé par certains que le théâtre ne peut décider avant qu’un tribunal compétent ne se soit prononcé suite à un dépôt de plainte. Qu’il conviendrait donc de fermer yeux, oreilles, de verrouiller esprit et langue, de continuer. Effectivement, il ne nous appartient pas de juger du point de vue de la Justice. Nous ne le faisons pas. Quid en revanche de l’engagement artistique ? S’est-il du fait même de la pertinence concrète d’une réalité, volatilisé, vidé du sens que pourtant nous clamons au fil des programmations et des saisons, être de notre fondement? Comme figé dans le choc et le bouleversement entrevu, a-t-il perdu toute forme, tel un objet apolitique sans goût et sans odeur monté sur la chaîne de la fabrique sociale? La promesse de l’art est celle de l’émancipation. Nous défendons et construisons cette promesse chaque jour dans notre pratique professionnelle. Se détourner au moment où celle-ci nous confronte ? Le TPE est engagé contre toutes les formes de discriminations depuis plus de 20 ans, c’est à ce titre qu’il décide de ses actes.

Quant à la danse, elle est dans une réalité économique fragile. Et elle souffre encore des préjugés des défenseurs de la pudeur dont elle vient trop souvent écorner les représentations rigoristes. Certains nous ont demandé d’ailleurs, au nom des jeunes interprètes des compagnies en danger, de garder sous cloche notre vue, encore. On nous a expliqué parce que l’on estimait que nous n’étions pas en capacité de comprendre, que nous étions « écervelées », que la danse c’était cela, complexité et ambigüité. Nous ouvrons grands les yeux, prenons note et rassurons nos interlocuteurs. Nous sommes danseuses et danseurs depuis des années, programmons la danse, nous sommes public engagé, nous défendons et soutenons la danse. Nous savons qu’elle n’est pas un écran, voile du défoulement des pulsions d’appropriation du corps d’un autre, d’une autre, outil de conservation d’un ordre social patriarcal, qu’elle ne peut porter un geste d’oppression. Car nous savons à quel point elle est la liberté, tout au contraire, pour tous et toutes ces jeunes artistes, des faubourgs de Soweto au cœur des grandes villes occidentales. 

Le silence a étouffé. Souhaitons que la voix porte loin.

Théâtre Paul Eluard — Scène conventionnée d’intérêt national pour la danse de Bezons
162, rue Maurice Berteaux — 95 870 Bezons — www.tpebezons.fr

 


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